Qui somme nous ?

Début 2007, Kaltoum Le Roux, mon épouse, découvrait les joies du commerce sur Internet en vendant quelques objets personnels, des disques, des chaussures, et divers autres objets sur eBay.

Fascinée par ce métier, elle a créé une société. Cette société s'appelait Modatoi. À partir de deux cartons de 12 paires de chaussures, en 5 ans, elle a développé une entreprise qui générait presque 20 millions d'euros par an.

C'était l'âge d'or du e-commerce. Les grandes marques ne s'intéressaient pas à la vente sur Internet.

Modatoi était l'un des plus gros annonceurs de Facebook en France et dépensait énormément d'argent chez Google, Criteo et auprès d'autres sociétés. Avec presque 500 000 colis par an, La Poste était un partenaire très important.

Kaltoum souhaitait développer des partenariats avec des chanteurs, uniquement des artistes qu'elle appréciait ou dont les chansons nous avaient parfois bouleversés, comme Maître Gims, qui à l'époque était dans le groupe Sexion d'Assaut avec le titre "Avant qu'elle parte". Certains diront qu'elle se servait de leur image, mais ce n'était pas ça. Bien sûr, l'apparition de la marque dans leurs clips générait énormément de trafic sur notre site Internet. Mais au fond, c'était surtout la chance de pouvoir approcher ces artistes et de pouvoir dire que nous les avions appréciés et qu'ils nous avaient apporté un peu de bonheur, tout comme nous espérions en avoir apporté à beaucoup de nos clients et pas juste leur vendre quelque chose.

Un grand coup de chapeau d'ailleurs à Maître Gims qui, lors d'une interview dans une radio, s'était défendu avec plus de ferveur que lui-même lorsque l'on lui reprochait de vendre son âme à des vendeurs de fripes.

Nous présentons nos excuses à Tal pour un deuxième clip qui nous avait fait honte, transformant sa chanson et le clip de sa chanson en un vulgaire étalage de notre marque. Nous avions protesté à l'époque, demandé à ce que le clip ne soit pas diffusé, proposé de payer les frais pour un nouveau clip. Personne ne nous a écoutés. Le clip devait sortir immédiatement, même s'il "ridiculisait" Tal. Le premier clip que nous avions réalisé avec Tal était merveilleux. On la voyait, elle et son petit frère, c'était beau et subtil. Ce deuxième clip était une horreur.

En 2013, l'arrivée des grandes marques sur le marché d'Internet et notamment de la publicité a forcément bouleversé la donne. Modatoi était une petite marque, elle ne pouvait évidemment pas rivaliser avec les grandes, notamment en termes de budget publicitaire sur Internet. Le chiffre d'affaires a commencé à baisser en 2014, doucement mais inexorablement.

Début 2016, Kaltoum apprend qu'elle a un cancer. Elle continue à s'occuper de la société courageusement. Elle est opérée en juin 2016. Les chirurgiens pensaient qu'elle ne survivrait pas. Début février 2017, nous avons quitté la société. Le reste de sa vie a été une longue bataille, la bataille que connaissent beaucoup d'autres personnes : chimiothérapie et autres traitements, séjours prolongés à l'hôpital, radios, scanners tous les trois mois, analyses de sang périodiques avec, à chaque fois, l'épée de Damoclès : la maladie reprend-elle ? La maladie continue-t-elle ? La maladie se stabilise-t-elle ?

Le 3 mai 2020, pendant le confinement, à 23h47, Kaltoum nous a quittés, laissant derrière elle moi, ses quatre enfants et tous les gens qu'elle a aimés, et ils sont nombreux.

En octobre 2019, quelques mois avant son décès, nous avions recréé une petite société : Modafab. Après avoir recommencé à vendre quelques paires qui appartenaient à Kaltoum sur eBay et Vinted pour reprendre confiance, toutes les photos ont été réalisées à partir de ses jambes. À 52 ans, elle était toujours magnifique, même si la maladie l'avait terriblement amaigrie. Nous avons reconstitué un petit stock, minuscule et ridicule au regard des 15 kilomètres de rayonnages et jusqu'à 8 millions d'euros de stock prix de vente qui existaient chez Modatoi. Nous passions plus de temps à l'hôpital qu'à nous occuper de la société. Son chiffre d'affaires n'était que de quelques centaines d'euros par mois. Lorsque son décès est survenu, j'ai tout de suite pensé à fermer Modafab. La société n'avait pour but initial que de redonner un peu de joie sur le visage de mon épouse. Les enfants ne voulaient pas fermer la structure, ou plutôt m'ont demandé de ne pas la fermer. J'ai donc continué. À nouveau, le chiffre d'affaires de cette société est ridicule, mais les clients sont servis avec le maximum de soins. Je pense, et j'espère, dans l'esprit de ce qu'aurait voulu Kaltoum.